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États-Unis et Russie. La fin du traité FNI va-t-elle relancer la course à l’arme nucléaire ?

En février dernier, le président Donald Trump avait menacé de quitter le traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire (FNI) si la Russie ne renonçait pas à un de ses nouveaux missiles. Depuis, Washington et Moscou ont campé sur leurs positions et l’ultimatum de ce vendredi 2 août a expiré. Désormais, met en garde le Guardian, le risque est de voir “sauter l’autre pierre angulaire du désarmement mondial”, à savoir le traité New Start.

Il arrive que le plus profond des soulagements cède la place à la plus irresponsable des suffisances. On peine aujourd’hui à se souvenir à quel point la guerre nucléaire faisait peur. Selon une enquête menée au début des années 1980 aux États-Unis et au Royaume-Uni, une majorité d’adolescents jugeaient alors probable une guerre nucléaire de leur vivant, et un tiers des jeunes Américains en dernière année de lycée se disaient d’accord avec l’affirmation : “L’humanité dans sa totalité subira probablement un anéantissement nucléaire ou biologique de mon vivant.” La fin du monde était partout, jusque dans les chansons pop. Des deux côtés de l’Atlantique, des téléfilms comme Threads et The Day After terrifiaient les téléspectateurs avec le récit d’attaques nucléaires et de leurs conséquences.

Ronald Reagan lui-même avouait en privé avoir été “très affecté” par The Day After, et l’un de ses biographes assure que le téléfilm a joué un rôle, si secondaire soit-il, dans sa volonté d’aboutir à des traités de réduction des armes. En 1987, le président américain signait avec Mikhaïl Gorbatchev le traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire (traité FNI, ou INF dans son acronyme anglais), et les missiles de croisière étaient éradiqués d’Europe de l’Ouest, en particulier de la base de Greenham Common [qui fut un haut lieu de la contestation anti-armements en Grande-Bretagne].

Au tour du traité New Start ?

Et pourtant, ce vendredi 2 août 2019, cette pierre angulaire de la non-prolifération s’écroule. Les États-Unis avaient annoncé en janvier leur retrait du traité en raison de violations commises par la Russie. L’un des risques est de voir les Américains décider de redéployer en Europe des missiles jusque-là interdits, et les Russes en faire autant. Mais il est une menace plus grave encore, celle de voir sauter l’autre pierre angulaire du désarmement mondial : le traité New Start, qui limite le nombre d’ogives nucléaires à longue portée détenues par la Russie et les États-Unis, expire en 2021. Une prolongation pour cinq ans est possible, mais le conseiller américain à la sécurité nationale John Bolton, qu’insupporte la moindre contrainte imposée à son pays, a déjà déclaré ce scénario peu probable. Son patron avait laissé entendre que les États-Unis et la Russie pourraient trouver un nouvel accord qui intégrerait la Chine. C’est encore plus improbable : Pékin a beau consacrer des sommes colossales à la modernisation de ses armées, ses stocks d’ogives nucléaires sont dérisoires comparés à ceux de Washington et de Moscou.

Certains veulent croire que Trump pourrait donner tort à Bolton si la Russie, plutôt favorable à une prolongation du traité, acceptait quelques amendements symboliques lui permettant d’affirmer qu’il a amélioré l’accord obtenu par son prédécesseur (qui était venu remplacer un traité plus ancien). D’autres se tournent vers le Congrès. Le mercredi [31 juillet], une proposition de loi bipartite a été présentée au Sénat pour demander la prorogation de New Start à moins que le gouvernement ne fournisse des preuves solides des infractions russes ou qu’un nouveau traité ne soit signé. Adam Smith, le président démocrate de la commission des forces armées à la Chambre des représentants, se révèle un adversaire très efficace de la dépense nucléaire : en l’absence de traité, les seuls freins possibles sont financiers.

Imprévisibilité et opacité

Certes, New Start a ses limites et date d’une autre époque : il ne concerne que les armes nucléaires, et seulement deux pays, même si ces deux pays renferment 90 % de l’arsenal nucléaire mondial. Notre époque est à la prolifération nucléaire : les États-Unis ont approuvé fin 2018 l’exportation de technologies nucléaires à l’Arabie Saoudite, cette semaine la Corée du Nord enchaîne les tests de lancement. Et les cyberarmements et autres arsenaux nouvelle génération représentent une menace grandissante.


Pour autant, de nombreux experts s’accordent à dire que, sans New Start, on va tout droit vers une nouvelle course aux armements. Que si, dans l’immédiat, il faut moins s’inquiéter de la prolifération que de l’imprévisibilité et de l’opacité créées par la fin des contrôles, l’absence de traité conduira forcément, à terme, à une relance des arsenaux. Dans le scénario le plus optimiste, on finira par revenir à des accords de réduction des armes, quelle que soit leur forme – après combien de temps perdu, d’argent gaspillé, de risques courus ? L’idéal, à savoir un accord global et multilatéral, n’étant pas à notre portée aujourd’hui, un accord de non-prolifération bilatéral garde toute sa pertinence. D’autant qu’on se demande bien pourquoi d’autres envisageraient de signer, quand les deux principaux protagonistes renient, voire déchirent, les traités en place

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