Arabie Saoudite: Le Prince MBS éclipsé par son propre frère
Devenu difficilement fréquentable depuis ses échecs dans la région et la révélation de ses nombreux crimes, Mohammed ben Salmane pourrait céder sa place à son jeune frère Khaled ben Salmane.
L’étoile politique de Khaled ben Salmane, 31 ans, troisième fils issu du deuxième mariage du roi Salmane ben Abdelaziz, brille de plus en plus à Riyad et auprès des Américains, principaux alliés de l’Arabie Saoudite. Alors que celle de son frère aîné, le prince héritier Mohammed ben Salmane (MBS), continue de pâlir depuis l’assassinat du journaliste saoudien Jamal Khashoggi, le 2 octobre 2018 au consulat saoudien à Istanbul.
Khaled, qui occupe actuellement le poste de vice-ministre de la Défense, s’était fait remarquer quand il a été nommé ambassadeur saoudien à Washington en 2017. Sans grande expérience diplomatique, il aurait mené grand train à Washington, achetant une maison pour 12 millions de dollars et dépensant jusqu’à 8 millions par an.
Avions de chasse et réseaux sociaux
Mais il avait déjà une carrière de pilote de chasse dans l’armée de l’air saoudienne à son actif, et avait notamment participé à la plus grande opération contre Daech menée par les Américains en Irak et en Syrie. Cela lui avait permis non seulement de se tailler une réputation flatteuse auprès des troupes saoudiennes, mais aussi de passer beaucoup de temps aux États-Unis pour s’entraîner, nouant ainsi des contacts avec des généraux de l’armée américaine et des hauts responsables du Pentagone, bien avant son frère MBS.
C’est pour cela qu’il est très à l’aise en anglais, contrairement là encore à son frère. Il a pu en faire la démonstration lors de sa prestation, jugée convaincante, sur CNN en mars 2018, au cours de laquelle il a fait preuve d’habileté pour plaider en faveur d’une ligne dure face à l’Iran et au Hezbollah. Par ailleurs, Khaled est particulièrement présent dans les médias mais aussi à travers ce qu’il écrit – en arabe et en anglais – sur les réseaux sociaux, alors que son frère MBS n’a aucun compte à son nom.
De fait, le numéro trois à Ryad
C’est en février 2019 que le roi l’a nommé au poste de vice-ministre de la Défense. En réalité, il est aujourd’hui le numéro trois à Riyad, selon l’ancien ambassadeur américain à Bahreïn Joseph Adam Ereli, qui affirme qu’il “est chargé de la Défense, de la guerre au Yémen et des relations avec les États-Unis”.
À la fin du mois d’août, il est retourné aux États-Unis pour un voyage important au cours duquel il a rencontré le ministre de la Défense, Mark Esper, et le secrétaire d’État, Mike Pompeo. Cette visite s’est faite sur instruction de son frère MBS, mais cela révèle tout de même que, depuis l’affaire Khashoggi, il est difficile pour MBS de se rendre dans un pays occidental.
Ce voyage à Washington était entouré de supputations sur le fait qu’il pourrait avoir les faveurs des Américains, qui le jugeraient préférable à MBS. Pourtant, le Washington Post l’accuse d’avoir lui aussi joué un rôle dans l’assassinat de Khashoggi, puisque c’est lui qui aurait suggéré à celui-ci de se rendre au consulat à Istanbul. Mais le prince nie, expliquant au journal que le dernier contact qu’il a eu avec Khashoggi remonte à octobre 2017, à travers de simples textos.
Selon des sources proches des milieux du renseignement, ce serait en fait lui qui s’occupe aujourd’hui du dossier yéménite. Il serait en pourparlers avec Washington au sujet des efforts américains pour mettre un terme à la guerre au Yémen par le biais de négociations entre le gouvernement légitime yéménite et les séparatistes, affirme l’universitaire Atef Abdel Jawad.
Il est peu probable que MBS soit écarté
Selon ce dernier, les Américains voudraient que des négociations secrètes avec les houthistes soient organisées au sultanat d’Oman, avec la participation saoudienne. À en croire l’ancien analyste des politiques sécuritaires au Pentagone Michael Maalouf, “c’est à travers Khaled que Washington continue de travailler quotidiennement avec l’Arabie Saoudite”. Car, explique-t-il, MBS n’est pas très populaire à Washington, surtout au Congrès et dans les médias, ce qui hypothèque les liens de travail avec lui. Toutefois, il doute que Washington puisse décider d’exercer des pressions sur Riyad pour écarter MBS au profit de Khaled, en raison des craintes d’une déstabilisation du pays.
Même son de cloche chez l’ancien ambassadeur américain à Bahreïn Adam Ereli, pour qui “le prince héritier, MBS, est toujours l’allié et le partenaire décisif des États-Unis. Il n’y a pas d’alternative pour le remplacer.”
Atef Abdel Jawad estime en revanche que “l’avenir de MBS est indexé sur l’avenir de Trump à la Maison-Blanche. Ce qui fait que MBS commence à se faire du souci au sujet du résultat de l’élection présidentielle américaine de novembre 2020.” Et d’ajouter :
Des voix au Congrès ont invité le roi Salmane à nommer un vice-prince héritier [c’est-à-dire un remplaçant putatif de MBS]. Mais il est trop tôt pour prédire l’avenir des deux princes. Reste que Khaled est peut-être un visage plus acceptable, parce qu’il est moins associé à l’assassinat de Khashoggi, à la guerre au Yémen et à la campagne de répression contre des féministes et militants des droits humains en Arabie Saoudite. Autrement dit, vu du Congrès, son passif paraît moins lourd que celui de son frère MBS.”