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Culture: Comment les rappeurs français et britanniques s’inspirent des musiques africaines

Si de plus en plus de rappeurs mêlent le français et l’anglais dans leur musique, ils sont nombreux à trouver de l’inspiration en Afrique, explique ce correspondant britannique du New York Times. En témoigne le nombre grandissant de créations et de genres musicaux hybrides.
La Grande-Bretagne a parfois une mentalité de pays insulaire. Un de nos jeux de société consiste ici à énumérer le plus de Belges célèbres possible, sachant que peu de gens en connaissent. Faire le même exercice avec des rappeurs français augmente encore la difficulté. La France est l’un des plus gros marchés du rap du monde, mais son voisin outre-Manche fait la sourde oreille.Ce manque d’intérêt est réciproque. Le rap français a beau être bourré d’emprunts à l’anglais – et raffole des mots qui commencent par F, surtout le rap “hardcore” – l’influence dominante reste américaine et les rappeurs britanniques n’ont pas la cote. Stormzy est probablement le rappeur le plus en vue du Royaume-Uni, avec un premier album en 2017 rapidement passé en tête des ventes au Royaume-Uni alors qu’il n’est même pas dans le top 200 en France.Peut-on quand même construire des ponts entre ces deux forteresses du rap européen ? Sans doute, mais la solution se trouve peut-être dans les anciennes colonies africaines de ces deux pays.
La difficulté de rapper en français
Il y a en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale de nombreux pays anglophones et francophones, reflets de la présence coloniale britannique, française et belge jusque dans les années 1960. Et les différents styles de musique populaire d’Afrique subsaharienne sont importés, adoptés et revisités par des musiciens britanniques et français qui ont des racines là-bas.Omo Frenchie est un rappeur installé à Londres qui passe de l’anglais au français dans ses chansons. “Rapper en français est beaucoup plus difficile”, explique-t-il au téléphone.
C’est à cause de la langue et la prononciation. En français, pour dire des choses très simples, il faut forcément faire compliqué. Mais le côté positif, c’est que quand tu trouves une bonne formule, c’est vraiment excellent.”
Franglais
Frenchie, qui ne veut pas révéler son nom ni son âge, est même un rappeur trilingue. Il chante aussi en lingala, l’une des langues de la République démocratique du Congo, une ancienne colonie belge devenue indépendante en 1960. C’est là que Frenchie est né avant de déménager à Londres avec sa famille quand il était encore bébé.La première fois qu’il a utilisé le français et le lingala dans sa musique, c’était en 2013. Il avait été invité par le musicien Afro B, un autre Londonien originaire d’Afrique francophone, à rapper sur un morceau. Après la sortie, Frenchie a remarqué que sur Twitter les gens étaient intrigués et se demandaient qui était ce type qui parlait français. “À partir de ce moment, j’ai su que j’avais trouvé mon créneau”, dit Frenchie.Il n’est pas le seul. Yxng Bane (prononcez “Young Bane”) est un jeune rappeur londonien en pleine ascension, avec à son actif plusieurs tubes au Royaume-Uni. Comme Frenchie, il est lui aussi d’origine congolaise. De son vrai nom Larry Kiala, il parlait anglais et français à la maison, avant d’apprendre plus tard le lingala. L’année dernière, il est venu à Paris enregistrer un duo avec un rappeur français, Franglais, pour la chanson Makasi.
Des mutations démographiques
Cette création avec Franglais – dont le nom fait référence à la plus grande peur de l’Académie française, ces gardiens acharnés de la langue française – s’est fait grâce à leur héritage africain commun. Le rappeur français est également d’origine congolaise (le mot lingala makasi veut dire “fort”). Et leur collaboration illustre l’influence croissante de la musique africaine sur le rap britannique et français.Ce mélange musical s’explique en partie par les mutations démographiques. La part des Noirs d’origine africaine dans la population britannique a doublé entre 2001 et 2011, date du dernier recensement national. (La France refuse de répertorier l’origine ethnique de ses citoyens.)
Afrobeats, afroswing et l’afrobashment
La forte influence de la musique africaine sur le rap britannique provient de la popularité de l’afrobeats [à ne pas confondre avec l’afrobeat de Fela Kuti], un mélange de musique urbaine ouest-africaine, caribéenne et américaine, né dans les années 2000 au Nigeria et au Ghana, deux anciennes colonies britanniques.L’afrobeats a été intégré à la musique urbaine britannique au début des années 2010. Et fait son entrée dans le top 10 en 2012 avec Oliver Twist de D’Banj (avec la participation de Kanye West, qui a signé D’Banj dans sa maison de disques, dans le clip).Depuis, de nombreuses variantes ont vu le jour, avec une multiplication vertigineuse des sous-genres comme l’afroswing et l’afrobashment. Mais ce foisonnement est surtout un effet de mode. “Pour moi si vous mettez le mot afro dedans, il faut au moins qu’il y ait un élément africain, explique Omo Frenchie. C’est du délayage, ajoute-t-il. Le genre mérite un peu mieux.”
Plus qu’une tendance
Mais ce style hybride, qui oscille entre le drill de Chicago, le phrasé de Drake, le dancehall des Caraïbes et la pop urbaine ouest-africaine, est plus qu’une tendance. L’afrobeats s’est fait une place en tant que nouveau mode dominant de la musique urbaine en Grande-Bretagne. Sa profusion sonore née de sa diversité géographique s’incarne dans l’étoile montante du rap britannique, Octavian, né en France de parents africains avant son installation à Londres quand il était enfant.L’équivalent français est l’afro-trap. Avec pour pionnier MHD, l’un des rappeurs les plus connus en France. Il a créé l’afro-trap en 2015 après avoir posté une vidéo de lui sur les réseaux sociaux où il rappait en freestyle sur une chanson du groupe d’afrobeats nigérian P-Square. L’année dernière, il est devenu le premier rappeur français à se produire au festival Coachella en Californie.Mais la carrière de MHD est menacée. En janvier, il a été arrêté dans le cadre d’une affaire d’homicide à Paris, même s’il nie toute implication. Le genre qu’il a créé est devenu une composante du hip-hop français. Le rappeur Niska s’est inspiré de l’afro-trap pour son album Commando, le troisième album le plus téléchargé en France en 2017.
Un rythme plus dur et plus rapide
Dans un échange de courriels avant son arrestation en décembre, MHD, 24 ans, de son vrai nom Mohamed Sylla, explique que son ambition est “d’exporter [sa] musique à un public international”.“En France, ce type de mélange était nouveau, dit-il, en évoquant l’afro-trap. Il se sent des affinités, ajoute-t-il, avec ses homologues britanniques.
Les Anglais ont cette capacité à mélanger les choses et fusionner les genres. Ils ont de la chance d’avoir un public hyper réceptif à ces mélanges de sons.”
L’afro-trap s’inspire du coupé-décalé, un genre musical de Côte d’Ivoire. Un rythme plus dur et plus rapide que l’afrobeats britannique. “Le son africain en France est différent, dit Frenchie. Personne au Royaume-Uni n’a osé un rythme pareil. C’est très africain.”
“C’est en train de monter”
Mais il y a des zones de chevauchement et de divergence. MHD s’est fait connaître sur les marchés anglophones en collaborant avec des chanteurs d’afrobeats comme la star nigériane Wizkid. L’année dernière, il a joué plusieurs fois à Londres. Niska a suivi ses traces en février. Les échanges s’intensifient entre les deux pays. Comme le dit Yxng Bane :
J’ai l’impression qu’il y a une grosse vague de sons afro-trap venant de France qui s’approche. C’est en train de monter.”
Et d’ajouter que ses propres efforts de rapprochement anglo-français vont se poursuivre.“Restez attentifs, dit Yxng Bane. J’ai encore plus de sons francophones à balancer. Et je vous dis, ça va le faire.”

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