Éducation : « Les lauréats de l’ENS haussent-ils les rangs des chômeurs » Par Nisso Kaokamla
Dans un entretien accordé à Toumaï Web Médias, Nisso Kaokamla, Sociologue de formation et Lauréat de la première promotion de l’Ecole Normale Supérieure de N’Djaména, déconseille le concours de l’École Normale Supérieure (ENS) allant jusqu’à proposer la fermeture de cette école et aussi la suppression de certaines filières dans nos universités.
Créer dans les années 80, auparavant ISSED (Institut supérieur des sciences de l’éducation) & ESSEAB (École supérieure des sciences exactes et appliquées de Bongor), et redevenues ENS en 2008, ces écoles qui forment des enseignants sont devenues aujourd’hui un lieu de refuge et de multiplication des chômeurs.
Pouvez-vous nous parler du concours de l’ENS ?
Je dirais tout simplement que le concours d’entrée dans les Ecoles Normales Supérieures (ENS) du Tchad, un cours de plus, un concours de trop. Vous savez, le Tchad compte quatre écoles normales supérieures localisées à N’Djaména, Bongor, Abéché et Sarh. La plupart des lauréats sont des chômeurs. Je dirais qu’il est clair que nous faisons face à des autorités incapables de planifier ou du moins de connaître le besoin exact des employés à la fonction publique.
J’aimerais paraphraser un égyptien qui a dit : « Gouverner c’est prévoir la disette, les vicissitudes et le nombre de bouche à nourrir », mais chez nous, est-ce le cas ?
Alors, selon vous, qu’est ce qui n’a pas marché ? Et, pensez-vous que les lauréats dans d’autres pays subissent le même sort ?
Sur ce point, reconnaissons que le Cameroun n’est pas camarade du Tchad, les gens sont un peu à leur place et se soucient de l’avenir de leur pays.
Ce sera difficile de trouver quelqu’un qui n’a jamais mis pied à l’école être intégré à la fonction publique comme enseignant surtout dans les pays limitrophes. Pourtant, nous copions chez les voisins et nous collons très mal.
En principe, l’Etat forme ses agents sur la base de besoin, est ce que c’est le cas au Tchad ? Sinon, comment comprendre que des enseignants formés au frais du contribuable passent 15 ans après leurs formations sans être déployés ?
Avant même que la première promotion des ENS ne passe le concours en 2011, il y avait déjà un grand nombre de lauréats de ces écoles qui n’étaient pas embauchés. A cela, vient s’ajouter donc les 10 autres promotions depuis 2011.
Que pensez-vous exactement de ce concours ?
Pour moi, ce concours n’a plus lieu d’être et je déconseille formellement aux cadets d’aller dans cette école. Aller à l’ENS c’est venir gonfler le nombre de plus de 8000 lauréats déjà au chômage. Il faut être inconscient pour commettre cette erreur de choix.
Les parents doivent orienter leurs enfants dans des filières compétitives sur le marché de l’emploi ou leur apprendre à entreprendre mais, les orienter vers les ENS est une manière de traumatiser encore plus son enfant après les trois ans de formation.
Mais est-ce que les lycées privés ne recrutent pas les lauréats ?
Voulez-vous dire que le Tchad forme des enseignants pour que les lycées privés en profitent ? Je suis un lauréat, j’ai enseigné pendant plusieurs années. Les lycées privés se sucrent les doigts sur le dos de l’Etat et sur le dos des enseignants vacataires. J’ai été proviseur dans un complexe scolaire privé et je suis en mesure de dire que c’est une entreprise qui n’enrichit que les fondateurs qui, dans la plupart des cas, payent très mal les enseignants malgré le taux élevé de scolarité.
Il y a des établissements où le coût annuel de la scolarité varie entre 750 000 et 1 500 000 par enfant mais les enseignants sont payés à 1000 francs par heure. Aucune sécurité sociale ni assurance maladie.
Je ne connais pas un seul lycée privé qui a déclaré d’ailleurs ses enseignants à la CNPS. Rares sont ceux qui déclarent le staff permanent (Proviseur, Censeur).
Pourtant, certains enseignants interviennent dans plusieurs établissements pour combler le vide dans leur revenu ?
Cette pratique existe mais je peux vous assurer que cela impacte durement la qualité de l’enseignement dispensé par l’enseignant. Si un enseignant intervient dans 3, 4 voire 5 établissements sans compter les précepteurs dans 2 à 3 trois familles, il est possible que sa priorité ne soit plus l’assimilation des cours par les élèves mais le nombre d’heures qu’il doit atteindre avant la fin du mois.
Vous dites que les ENS forment des chômeurs, que pensez-vous de la faculté des sciences de l’éducation de l’Université de N’Djaména ?
Rires, est ce que vous, en tant que journaliste pourrez me dire s’il y en a qui ont été employés quelque part avec ce Diplôme ? Peut-être qu’ils pourront partager leur expérience avec les autres. Cette faculté n’a pas lieu d’exister. C’est une filière à supprimer de l’université.
Les écoles normales supérieures forment déjà des enseignants et des inspecteurs et autres pédagogues. La création de cette faculté est selon moi irréfléchie et est l’œuvre de quelques individus « idiots » pensant innover ou impressionner leurs chefs.
Quelles solutions proposez-vous en tant que jeune et lauréat de l’ENS ?
Le gouvernement doit prendre ses responsabilités et regarder de très près les lycées privés. Aussi, fermer les ENS temporairement, du moins jusqu’à épuisement total de ceux qui sont formés et qui se retrouvent dans les quartiers, abusés, exploités.
Enfin, revoir le système éducatif de façon globale avec la suppression de certaines facultés dans les universités pour faire place à d’autres.
Propos recueillis par Mbodou Hassan Semidjidda