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Le conflit entre l’Iran et l’Arabie saoudite expliqué en 4 points

Après les attaques par drones contre des installations pétrolières du royaume saoudien, la possibilité d’un conflit direct avec l’Iran n’a jamais été aussi grande. Explications pour mieux comprendre les enjeux de cette crise. 

La possibilité d’un conflit direct entre l’Arabie saoudite et l’Iran n’a jamais été aussi grande. Quarante-huit heures après que le royaume saoudien eut été frappé au cœur par une double attaque contre ses installations pétrolières revendiquée par les houthis – milice yéménite soutenue par Téhéran –, analystes et responsables américains et saoudiens s’accordent à dire que les rebelles yéménites n’en sont pas à l’origine. L’attaque viendrait d’Irak, voire d’Iran. Si la deuxième possibilité est avérée, elle représenterait la première attaque iranienne directe sur le sol saoudien et ouvrirait la voie à un potentiel conflit entre les deux éternels rivaux. La situation restant toutefois encore très floue, voici quatre questions pour mieux comprendre les enjeux de cette crise.

D’où vient l’attaque ?

Bien que les houthis aient directement revendiqué l’attaque de samedi à l’aide de drones, des doutes persistent sur le matériel utilisé. Le Wall Street Journal évoque une thèse selon laquelle des responsables américains et saoudiens étudient la possibilité que des missiles, et non des drones, aient pu être tirés sur les installations pétrolières… depuis l’Irak – où Téhéran a fortement étendu son influence ces dernières années par le soutien de milices chiites. “Il pourrait très bien s’agir des deux : à savoir des drones équipés de missiles”, qui ont mené l’attaque de samedi, explique James Dorsay, chercheur à la Rajaratnam School of International Studies (RSIS), contacté par L’Orient-Le Jour.

Mais la principale interrogation demeure : d’où est partie la double attaque de samedi ? La coalition militaire menée par l’Arabie saoudite contre les houthis au Yémen a de son côté déclaré hier au cours d’une conférence de presse que les attaques contre des champs pétrolifères saoudiens ont d’une part été menées par des armes iraniennes, et qu’elles ne proviennent pas du territoire yéménite. Le porte-parole de la coalition, le colonel Turki el-Maliki a ajouté que l’enquête préliminaire relative à ces attaques revendiquées par les rebelles houthis était néanmoins toujours en cours.
Plusieurs responsables américains se seraient entretenus avec les autorités irakiennes et auraient affirmé que les États-Unis détiendraient des preuves que l’attaque a été lancée par l’intermédiaire des milices chiites pro-iraniennes, depuis dans la région de Bassora”, a-t-il ajouté, précisant cependant ne pas savoir si les officiels américains ont montré des preuves concrètes aux autorités irakiennes. Bagdad a néanmoins réfuté tout lien avec l’attaque de samedi.

Parallèlement à la thèse irakienne, des responsables américains ont évoqué hier la possibilité que l’attaque ait pu être opérée depuis l’Iran. “Des missiles de croisière et des drones utilisés dans l’attaque de ce week-end sur les installations pétrolières saoudiennes ont été lancées à partir de l’Iran”, ont-ils dit à la chaîne américaine Fox News. Un haut responsable de l’administration américaine avait déjà affirmé dimanche que l’ampleur et la précision des attaques étaient telles que les rebelles houthis ne pouvaient pas en être les auteurs, suggérant de fait une responsabilité directe de l’Iran.

Comment expliquer le timing de l’attaque ?

Il est impossible – compte tenu de l’ampleur des dégâts, des moyens qui semblent avoir été utilisés dans l’attaque et de la structure de décision iranienne – “que les pasdaran aient agi seuls” et que le guide suprême iranien Ali Khamenei n’ait pas été consulté.
Le camp des durs du régime iranien, dont la figure la plus emblématique est le général Kassem Souleimani (commandant de la force al-Qods), pourrait par ailleurs ne pas avoir vu d’un bon œil le climat de détente qui commençait à s’installer avec l’administration Trump. Le surlendemain de l’attaque, l’éventualité d’une rencontre entre le président américain Donald Trump et son homologue iranien Hassan Rohani en marge de l’Assemblée générale des Nations unies – qui s’ouvre aujourd’hui – a été complètement écartée.

Une telle rencontre s’est révélée impossible dans un tel contexte.
L’objectif de l’Iran derrière l’attaque contre les installations saoudiennes, tout comme les précédents épisodes dans la région, serait de montrer que les sanctions américaines et la “pression maximale” que Washington inflige à la République islamique ont un coût pour toute la région – en témoigne d’ailleurs la (nouvelle) saisie d’un pétrolier dans le détroit d’Ormuz hier après-midi. Téhéran semble ainsi profiter que les Américains ne veulent pas répondre à ses attaques pour en effectuer d’autres.

Cela amènerait ainsi les États-Unis à apporter une réponse mesurée et calibrée – pour éviter d’entrer dans une guerre directe – ce qui conforterait politiquement la place des durs du régime, ou alors à arrêter, ou en tous cas diminuer, sa campagne de « pression maximale » contre la République islamique. Le caractère de l’administration américaine actuelle pourrait cependant la pousser à continuer vers la guerre des mots avec Téhéran. Mais “toute vengeance contre l’Iran est susceptible de susciter une contre-attaque iranienne qui risque d’enflammer toute la région”, estime Ali Vaez, spécialiste de l’Iran à l’International Crisis Group.

Quelle réponse saoudienne ?

Malgré l’ampleur des attaques qu’elle a subies samedi, l’Arabie saoudite s’est jusque-là montrée particulièrement prudente en se gardant de désigner directement un responsable y compris via les réseaux sociaux. Les “Saoudiens ont reçu des instructions de ne pas tweeter ou retweeter des informations ou des vidéos à moins qu’elles ne proviennent d’agences saoudiennes officielles” sous prétexte que révéler “l’ampleur des dégâts dans les champs de pétrole pourrait bénéficier aux ennemis”, a tweeté dimanche Madawi el-Rashid, professeure saoudienne à la London School of Economics.

Les déclarations émanant du royaume se sont par ailleurs faites rares et leur contenu reste flou. En témoignent par exemple les propos rapportés par l’agence de presse officielle saoudienne (SPA), selon laquelle le prince héritier Mohammad ben Salmane (MBS) aurait simplement confié à Donald Trump, durant un appel téléphonique, que l’Arabie saoudite avait “le désir et la capacité d’affronter cette agression terroriste”. Les récentes déclarations saoudiennes sur l’implication directe de l’Iran rompent donc avec le silence des derniers jours.

Les Saoudiens sont très prudents. Ils sont manifestement “embêtés” parce qu’ils se rendent compte de ce qui peut leur arriver. C’est quand même une humiliation pour eux et une déstabilisation pour MBS. C’est lui qui a voulu la guerre au Yémen”, décrypte pour L’OLJ l’ancien ambassadeur français en Iran (2001-2005) François Nicoullaud.


S’il est fait mention de l’origine iranienne des armes utilisées contre les champs pétrolifères saoudiens dans la déclaration de la coalition militaire saoudienne au Yémen, l’Iran n’est jamais désigné directement. En effet, une telle affirmation officielle serait difficile à assumer pour l’Arabie saoudite car elle appellerait une réponse forte contre Téhéran.

Or l’Arabie Saoudite est grandement fragilisée par les événements de ces derniers jours. Malgré des investissements dans la défense de grande ampleur, le pays s’est révélé très vulnérable aux attaques extérieures. “Les Saoudiens ont investi des centaines de millions de dollars dans des systèmes de défense antiaériens, notamment dans le système Patriot américain, présent dans différent endroits du pays. Ce système n’a pas fonctionné”, affirme Jonathan Piron, spécialiste de l’Iran pour le site Etopia. Surtout l’Arabie saoudite est enlisée dans la guerre qu’elle mène contre les rebelles houthis. Elle est également de plus en plus seule, les Émirats arabes unis exprimant depuis plusieurs semaines la volonté de se retirer.

Pourquoi les Américains se retrouvent-ils face à un dilemme ?

Ébranlée sur la scène régionale, l’Arabie saoudite se retrouve dans une situation de dépendance accrue vis-à-vis des USA. Or les États-Unis avaient témoigné ces dernières semaines d’une volonté d’apaisement envers Téhéran, notamment par le limogeage du conseiller à la Sécurité nationale John Bolton – partisan de la ligne dure contre l’Iran – mardi dernier. Ce n’est pas la première fois que le président américain opte pour plus de mesure sur le dossier iranien. Ainsi, en juin dernier, suite à la destruction d’un drone américain par l’Iran, Trump avait aussi annulé une riposte à la dernière minute, estimant qu’elle pourrait coûter la vie à 150 civils.


Donald Trump a tweeté hier que les États-Unis sont à présent le premier producteur d’énergie au monde et par conséquent n’auraient pas besoin du pétrole et du gaz du Moyen-Orient. Il a néanmoins ajouté que cette autonomie énergétique n’empêchera pas le pays d’aider ses alliés.
Auparavant, le ministre de la Défense américain Mark Esper avait déclaré que les États-Unis défendront “l’ordre international” qui est “sapé par l’Iran” après les attaques contre les installations saoudiennes.

Washington semble ici faire face à un dilemme capital. D’une part, si les États-Unis ne répondent pas à l’attaque qu’ils imputent à l’Iran, ils donneront l’impression d’abandonner leur rôle de gendarme régional au plus grand profit de Téhéran. D’autre part, à un peu plus d’un an des prochaines élections américaines, Trump paraît peu enclin à déclencher un nouveau foyer de tensions au Moyen-Orient.

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