Tchad : le mariage précoce, un véritable blocus pour l’éducation des filles
Le mariage des enfants constitue une forme de violation des droits de l’homme qui affecte particulièrement les femmes et les filles du monde entier. Cette pratique freine l’éducation des jeunes filles, les prive de la prise de décision et les rend vulnérable à la violence. C’est un facteur de sous-développement car il empêche les filles de participer pleinement à la sphère économique et sociale.
Une publication élaborée par les bureaux régionaux de l’UNFPA et de l’UNICEF pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre démontre que la prévalence du mariage des enfants en Afrique de l’Ouest et du Centre est de 41%, ce qui signifie que quatre filles sur dix, soit près de 60 millions, ont été mariées avant l’âge de 18 ans.
Entre la loi, la tradition, les us et coutumes et les conséquences incalculables
L’éducation, un vecteur puissant du développement, permet à l’être humain de s’épanouir dans pratiquement tous les domaines. Par contre le droit à l’éducation ne s’applique pas à tout le monde car les filles ne jouissent pas à 100% de ce droit qui leur est dû. Dans le contexte tchadien, plusieurs maux minent l’accès à l’éducation des filles dont nous pouvons énumérer entre autres : le mariage précoce et forcé, les mythes et traditions et les violences basées sur le genre.
Une étude réalisée en 2022 par le Fonds des Nations Unies pour la Population (UNFPA) fait du Tchad le deuxième pays au monde ayant le taux le plus élevé du mariage précoce (68% des filles sont mariées avant l’âge de 18ans et 25% à l’âge de 15 ans). Le mariage précoce et forcé de la jeune fille engendre beaucoup de situations ne favorisant pas l’éducation de la fille.
La jeune fille qu’on envoie précocement au foyer alors qu’elle n’a même pas encore fini sa croissance et a besoin d’être prise en charge doit apprendre à s’occuper de son mari et de toute la belle-famille parce qu’en Afrique c’est la famille qu’on épouse et non un individu, elle doit répondre aux exigences de son mari et de la religion, elle est submergée par des tâches et n’a plus de temps pour s’occuper de son éducation. S’en suivront les tracas du mariage, les grossesses indésirées, le pire des éventualités est que le mari va exiger qu’elle arrête ses études, ce qui est inévitable dans la majorité des cas. De fois, celles-ci doivent même arrêter les études avant d’être mariées contre leur gré.
Malgré d’importants progrès au cours des deux dernières décennies, les filles au Tchad ont encore un niveau de scolarité largement inférieur à celui des garçons. Cela est dû au fait qu’une grande partie des filles sont mariées précocement avant qu’elles ne soient psychologiquement et physiquement prêtes et aptes à devenir épouse et mère.
Le 14 mars 2015, le défunt président du Tchad, Idriss Deby Itno avait signé l’ordonnance N°006/PR/2015 portant interdiction du mariage d’enfant. Cette ordonnance prévoyait une peine d’emprisonnement de 5 à 10 ans et une amende de 500.000 à 5.000 000 de Francs CFA contre toute personne qui contraint par quelque moyen que ce soit, une personne mineure au mariage. Mais huit (8) ans après, l’efficacité et l’applicabilité de ladite ordonnance reste un sujet à cette problématique.
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Après le mariage propose, place aux dévastatrices conséquences
Il est à indiquer qu’après être mariée, il est difficile pour la fille de continuer les études car souvent le mariage est accompagné par une grossesse et quelque fois le mari s’oppose à l’éducation de sa femme car celui-ci juge que l’école n’est plus utile quand une fille est déjà mariée.
Selon la banque mondiale, les filles qui abandonnent l’école très tôt dû au mariage précoce sont susceptibles d’avoir des problèmes de santé lié à la grossesse, à l’accouchement, un nombre élevé d’enfants et un revenu faible à l’âge adulte. Cette pratique est très néfaste du point de vue sanitaire, économique et politique c’est pourquoi, éduquer les filles et mettre fin au mariage précoce est très primordiale pour le développement harmonieux d’un pays. Ce que l’on ignore au Tchad, est que derrière ces mariages précoces, il existe plusieurs conséquences.
Risque sanitaire
Le mariage d’enfants entraine souvent des violences et abus sexuels de la part du conjoint. Des risques recensés par les partenaires qui révèlent aussi des cas liés aux grossesses précoces.
C’est l’histoire d’une fille qui s’appelle Mariam à qui son père a imposé un mari, un de ses amis, alors qu’elle avait 14 ans et son pseudo mari a le même âge que son père. Alors qu’à cet âge, certaines ne maîtrisent même pas l’usage des serviettes hygiéniques, elles feront quoi alors une fois au foyer ?
Analphabétisme
Malgré son taux d’analphabétisme décrié, une étude a montré que beaucoup de filles abandonnent leurs études après le mariage. Et aujourd’hui, ça existe dans plusieurs contrées du pays, souvent certains parents poussent leurs enfants à garder le silence.
En 2023, les mentalités doivent changer
En 2020, un simple message sur le mariage des enfants et la scolarisation des filles a suscité une chronique sur les réseaux sociaux. En effet, tout est parti d’une simple affiche de communication d’un organisme international sur laquelle est postée la photo d’un Imam qui est d’ailleurs le Secrétaire Général du Conseil Supérieur des Affaires Islamiques du Tchad, avant un message de sensibilisation qui dit » Non au mariage des enfants, oui à la scolarisation des filles ».
Pour la plupart des internautes, l’imam n’avait pas le droit et allait à l’encontre du principe de l’islam sur la question du mariage. Avec parfois des connaissances très limitées sur la religion, certaines personnes conduisent leurs enfants dans un désastre sans se rendre compte. Du coup, leur avenir est gâché, ce qui est triste.
Comme solutions
D’abord du point de vue social, un enfant a besoin d’un encadrement, d’une bonne éducation. Un enfant doit être formé, protégé pour mieux affronter sa vie d’adulte. Or, le mariage est une responsabilité que beaucoup d’enfants ne sont pas prêts à assumer.
Aujourd’hui, dans un monde des nouvelles technologies de l’information et de la communication, on peut aisément assurer une éducation de qualité à travers le numérique en initiant les jeunes filles tout en les accompagnant dans leur projet pour la mise en œuvre.
Le soutien des enseignants et tout autre acteur éducatif surtout en milieu rural est nécessaire pour l’accélération du processus de maintien des filles à l’école dans les zones reculées. S’inspirant d’une situation réelle et historique, le maintien des filles est l’un des moyens les plus efficaces de nos jours.
Faire comprendre l’importance de l’éducation des filles à travers plusieurs campagnes de sensibilisation
L’éducation est un puissant facteur de changement. Elle améliore la santé et les moyens de subsistance, contribue à la stabilité sociale et stimule la croissance économique à long terme. Elle est aussi essentielle à la réalisation de chacun des objectifs de développement durable.
Une éducation de qualité a le pouvoir de promouvoir l’égalité entre les femmes et les hommes pour éliminer les injustices auxquelles les femmes font face en matière de salaire, de pauvreté, d’autonomie reproductive et de pouvoir politique. Pour paraphraser la célèbre écrivaine Mariama Bā qui disait «Éduquer une fille c’est éduquer toute une nation».
Soutenir les initiatives des jeunes qui contribuent à la lutte
Beaucoup de jeunes ont initié des activités allant dans le sens de la sensibilisation via les outils numériques, mais ne sont pas parvenus à leur objectif final faute d’accompagnement et de soutien. C’est le cas de cette application mobile « Iyal Protect » conçue en 2018 par des jeunes tchadiens de l’Université Polytechnique de Mongo, une ville située à environ 500 kilomètres de la capitale N’Djaména.
En effet, cette application mobile avait pour objectif de combattre le mariage précoce car sans accès à internet elle donnait des informations sur la législation en matière de protection des enfants et sur la possibilité de dénoncer les abus. Mais aujourd’hui, cette application est presque morte, faute d’accompagnement.
Chacun d’entre nous doit jouer pleinement son rôle
Malgré les efforts des autorités administratives avec les partenaires techniques et financiers pour y mettre un terme, cette pratique continue son chemin, car les textes ne sont pas appliqués avec rigueur. De ce fait, il faut d’abord accroître les stratégies de lutte contre la pauvreté car certains pauvres donnent souvent leurs filles en mariage parce qu’elles pensent avoir des gendres riches.
Ensuite il faut se débarrasser de ce poids des traditions et coutumes, car avec la diversité culturelle du Tchad, certaines ethnies pensent que l’homme est l’autorité de la femme. Nous sommes au 21e siècle et c’est l’ère du numérique, donc il faut utiliser les outils de communication digitale pour amplifier la sensibilisation en invitant les parents, les victimes, les leaders religieux et la société civile à témoigner.
Dans les écoles, il faut initier un programme où les filles elles-mêmes auront la chance de se constituer en focus groupe et aborder certaines thématiques dont les parents jugent tabou.
Moussa Tahir Mahamat Abballah