Tchad : L’Union Européenne demande le retour à l’ordre constitutionnel
Le Parlement européen,
– vu sa résolution du 16 septembre 2020 sur la coopération UE-Afrique en matière de sécurité dans la région du Sahel, l’Afrique de l’Ouest et la Corne de l’Afrique [1],
– vu la déclaration du vice-président de la Commission/haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité (VP/HR) sur le décès du Président Idriss Déby Itno le 20 avril 2021,
– vu la déclaration du porte-parole du secrétaire général des Nations unies du 20 avril 2021 sur le Tchad,
– vu le communiqué des ministres des affaires étrangères et du développement du G7 du 5 mai 2021,
– vu le rapport de la mission d’information du Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine au Tchad du 29 avril au 5 mai 2021,
– vu la déclaration commune du Conseil européen et des États membres du G5 Sahel du 28 avril 2020 sur la sécurité, la stabilité et le développement du Sahel,
– vu les conclusions du Conseil du 16 avril 2021 réaffirmant l’importance d’un partenariat solide et à long terme entre l’UE et le Sahel,
– vu le programme indicatif national du Fonds européen de développement (2014-2020) pour le Tchad,
– vu la résolution de l’Assemblée parlementaire paritaire du groupe des États d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP) et de l’UE du 11 mars 2021 sur la démocratie et le respect des constitutions dans l’Union et les pays ACP,
– vu la constitution du Tchad,
– vu l’accord de Cotonou,
– vu la charte africaine des droits de l’homme et des peuples, adoptée le 27 juin 1981 et entrée en vigueur le 21 octobre 1986,
– vu la charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance,
– vu la Déclaration universelle des droits de l’homme,
– vu l’article 144, paragraphe 5, et l’article 132, paragraphe 4, de son règlement intérieur,
A. considérant que, le 20 avril 2021, le président tchadien Idriss Déby Itno, qui était au pouvoir depuis 31 ans, est décédé lors d’une confrontation militaire avec des groupes rebelles un jour après avoir été déclaré vainqueur des élections présidentielles du 11 avril;
B. considérant qu’à la suite du décès d’Idris Déby, le Conseil militaire de transition a organisé un transfert inconstitutionnel du pouvoir et mis en place un gouvernement de transition dirigé par Mahamat Idriss Déby, fils du Président tchadien; que le Conseil militaire de transition a suspendu la constitution, dissous le gouvernement et l’Assemblée nationale, et mis en place une «charte de transition» pour remplacer la constitution pour une période de 18 mois, renouvelable une fois;
C. considérant que la constitution tchadienne dispose qu’en cas de vacance du pouvoir ou d’incapacité permanente du chef de l’État, la présidence par intérim est exercée par le président de l’Assemblée nationale, qui doit organiser des élections dans un délai de 45 à 90 jours;
D. considérant que le 2 mai, le Conseil militaire de transition a nommé un gouvernement de transition dirigé par un premier ministre civil, Albert Pahimi Padacké, avec la participation de certains membres de l’opposition ; que M. Padacké est arrivé en deuxième position lors des élections présidentielles du 11 avril, alors qu’il était considéré comme l’un des alliés de feu le président Déby et a exercé la fonction de premier ministre de 2016 à 2018 ;
E. considérant que la mission d’information du Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine au Tchad du 29 avril au 5 mai 2021 a souligné qu’il importe de rédiger une constitution viable et universellement acceptable pour le Tchad et estime que la charte de transition n’est pas adéquate pour garantir les droits civils et politiques de la population pendant la période de transition ;
F. considérant que le gouvernement militaire a fait un usage disproportionné et illégitime de la force armée contre des manifestations de citoyens le 27 avril 2021; que cet usage de la force a été largement condamné par les organisations de défense des droits de l’homme et la communauté internationale, y compris l’Union africaine et l’Union européenne; qu’il y a eu au moins six morts, des dizaines de blessés et de nombreuses arrestations et détentions arbitraires en réponse aux manifestations depuis le décès du président Déby; qu’on estime que plus de 600 personnes ont été arrêtées pendant les affrontements;
G. considérant que l’exercice du pouvoir par le président Déby se caractérisait par des violations systématiques et persistantes des droits de l’homme ;
H. considérant que la période préélectorale a été marquée par la persécution et les arrestations arbitraires de plus de 112 adversaires politiques et défenseurs des droits de l’homme ; que, pendant les semaines qui ont précédé la campagne électorale, les forces de sécurité ont utilisé la force d’une manière disproportionnée et illégitime contre des manifestants pacifiques ; que les élections ont été largement boycottées par l’opposition et certains membres de la société civile;
I. considérant que la situation sécuritaire dans la région du Sahel s’est fortement détériorée ces dernières années, ce qui constitue une menace sérieuse pour la sécurité régionale et internationale; que les violations des droits de l’homme et les massacres sont monnaie courante; que le Sahel a connu l’augmentation la plus rapide des actions extrémistes violentes en 2019, toutes régions confondues; que depuis sa mise en place en 2015, la Force multinationale mixte a repoussé les groupes terroristes de nombreuses zones qui étaient sous leur contrôle, mais que la région reste très instable;
J. considérant que le Tchad a grandement souffert d’activités et d’attaques terroristes; que Boko Haram – allié à l’État islamique depuis 2015 – s’est répandu dans toute la région et a causé des déplacements importants dans le bassin du lac Tchad; que le Tchad compte actuellement 133 000 personnes déplacées à l’intérieur du pays et quelque 500 000 réfugiés; que la confrontation militaire avec des groupes rebelles tels que le Front pour le changement et la concorde au Tchad (FACT) s’est intensifiée depuis les élections de cette année; que l’armée tchadienne a récemment affirmé avoir vaincu le FACT; que le Conseil militaire de transition a rejeté la proposition des groupes armés rebelles du FACT de cesser le feu et d’engager des négociations;
K. considérant que l’UE soutient le G5 Sahel, une initiative de défense concertée entre le Burkina Faso, le Tchad, le Mali, la Mauritanie et le Niger, qui coordonne l’action dans le secteur du développement régional et de la sécurité pour lutter contre le terrorisme et amener la stabilité dans la région, l’armée tchadienne étant un élément clé de cette initiative; que le mandat de la mission de formation de l’UE (EUTM) au Mali a été élargi en mars 2020, afin d’inclure le conseil et la formation pour les forces armées nationales des pays du G5 Sahel, y compris le Tchad; que la Mauritanie et le Niger ont été désignés comme médiateurs par leurs partenaires au sein du G5 Sahel afin d’assurer un dialogue inclusif entre tous les protagonistes des troubles actuels au Tchad et de créer les conditions d’une transition consensuelle, pacifique et réussie;
L. considérant que, bien que Tchad soit un pays producteur de pétrole, la pauvreté, l’insécurité alimentaire, la corruption, l’impunité, la violence contre les femmes et les filles et un manque de perspectives économiques y sont endémiques ; que le pays se classe à la 187è place, sur 189, dans l’indice de développement humain (IDH) 2019 ;
M. considérant que l’Union européenne soutient les efforts de développement et d’instauration de la paix et de la sécurité au Tchad et dans l’ensemble du Sahel au travers du Fonds européen de développement, de la facilité de soutien à la paix pour l’Afrique, de l’instrument contribuant à la stabilité et à la paix et du fonds fiduciaire de l’UE pour l’Afrique; que l’UE a alloué 542 millions EUR au Tchad au titre du Fonds européen de développement entre 2014 et 2020 pour le soutien, y compris la consolidation, de l’état de droit; que la future facilité européenne pour la paix doit prendre le relais de la facilité de soutien à la paix pour l’Afrique le 1er juillet 2021;
- déplore le meurtre du président Idris Déby et les récentes violences et pertes de vies du fait d’attaques de groupes armés dans la région ; réaffirme sa préoccupation face à la crise prolongée au Tchad et à l’instabilité de la situation sécuritaire dans le Nord, et condamne vivement les violations répétées des droits de l’homme et du droit international et humanitaire ;
- condamne la prise militaire du pouvoir par le Conseil militaire de transition le 20 avril 2021, la suspension de la constitution tchadienne qui s’en est suivie et la dissolution du gouvernement ; rejette la mise en place, par le Conseil militaire de transition, d’une charte qui n’a pas été soumise à une consultation démocratique ;
- est convaincu que les divisions actuelles au sein de la société tchadienne ne peuvent être résolues par des moyens militaires et invite toutes les parties à s’abstenir de toute action violente, à s’engager dans un dialogue politique et à préserver les vies de la population civile ;
- demande au Conseil militaire de transition d’assurer un retour sans entrave et rapide à l’ordre constitutionnel et de veiller au respect des valeurs démocratiques; relève que la nomination d’un gouvernement de transition civil, comprenant des membres de certains groupes de l’opposition, est un premier pas vers le retour à l’ordre constitutionnel; invite également le Conseil militaire de transition à créer et à garantir les conditions d’un dialogue national inclusif entre le gouvernement et les acteurs de la société civile et à garantir une transition pacifique, menée par des civils et urgente vers des élections démocratiques, libres et équitables, dans les meilleurs délais, qui aboutiraient à un président élu démocratiquement et à un gouvernement d’ouverture;
- rappelle qu’une véritable transition et réforme démocratique doit être menée par des civils et permettre la participation pleine et active des organisations de la société civile, des femmes et des jeunes, des partis d’opposition et de la presse libre, qui devraient être en mesure d’œuvrer sans violence, intimidation ou restrictions ;
- condamne à la restriction du droit de manifestation et le recours à la violence par le Conseil militaire de transition contre des manifestants; invite instamment le Conseil militaire de transition à libérer toutes les personnes emprisonnées à la suite de manifestations récentes; demande également la mise en place d’une commission d’enquête indépendante et impartiale pour enquêter sur les abus commis pendant les manifestations et sur les éventuelles violations des droits de l’homme qui ont pu se produire, y compris l’utilisation apparente d’une force inutile et disproportionnée pour disperser les manifestants;
- s’inquiète de la corruption et de l’impunité au Tchad ; relève que l’absence de réaction face aux violations des droits de l’homme contribue à la perpétuation des abus et affaiblit la confiance du public dans les institutions de l’État;
- demande au VP/HR ainsi qu’à la délégation et aux missions de l’UE au Tchad de garantir la pleine mise en œuvre des orientations de l’UE concernant les défenseurs des droits de l’homme et du plan d’action de l’UE en faveur des droits de l’homme et de la démocratie, y compris en observant les manifestations et en apportant le soutien requis, mentionné dans le plan de transition de la société civile vers la fin de la crise ;
- invite la communauté internationale à soutenir le Tchad dans ses efforts sur la voie de la démocratie; demande, en particulier, à l’Union africaine et au G5 d’aider le Tchad en permettant un dialogue ouvert à tous et inter sociétal, en vue d’une solution durable et pacifique; réaffirme la nécessité de s’abstenir de toute ingérence extérieure intrusive et de protéger l’unité, la stabilité et l’intégrité territoriale du Tchad; demande aux Présidents de la Mauritanie et du Niger de continuer à aider le Tchad en tant que médiateurs dans la crise tchadienne jusqu’à ce qu’il y ait une conclusion durable et pacifique de la crise actuelle;
- reconnaît le rôle important que joue le Tchad dans la lutte contre le terrorisme au sein du groupe du G5 Sahel ; insiste sur l’importance du respect des conventions internationales en matière de droits de l’homme ; insiste sur la préservation de l’intégrité et de la stabilité territoriales du Tchad dans le contexte sécuritaire fragile de la région; souligne les besoins humanitaires du Sahel;
- rappelle que les organisations et partenariats régionaux, y compris l’Union africaine et le G5, sont des acteurs clés dans l’organisation et le soutien d’une stratégie menée par l’Afrique pour lutter contre le terrorisme et l’instabilité au Sahel; réaffirme son soutien à la Force multinationale mixte régionale et le maintien de son aide au travers de la facilité de soutien à la paix pour l’Afrique, qui doit bientôt être transférée vers la facilité européenne pour la paix; demande que les acteurs civils qui signalent la commission de violations des droits de l’homme soient protégés et ne soient pas exposés aux menaces;
- rappelle que le changement climatique, l’insécurité alimentaire, la croissance démographique, l’exploitation des ressources naturelles, la pauvreté et un manque de perspectives éducatives et économiques sont des causes profondes de l’instabilité, de la violence et du recrutement de terroristes à travers le Sahel; observe que la pandémie de COVID-19 a exacerbé ces pressions et considérablement entravé les progrès du développement; souligne que la coordination de l’aide en matière de sécurité, de développement, de soutien humanitaire et démocratique est nécessaire pour assurer le développement durable à long terme dans l’ensemble de la région; approuve le passage à une approche plus intégrée de la stabilisation, plus axée sur les dimensions civiles et politiques;
- souligne que le Tchad est et doit rester un partenaire fort de l’UE et répète sa détermination à assurer le dialogue et une solution pacifique à la crise politique actuelle ;
- demande une évaluation des financements de l’Union alloués à la région, pour veiller à l’absence de détournement de fonds ;
- charge son président de transmettre la présente résolution au Conseil, à la Commission, au vice-président de la Commission/haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, au gouvernement et à l’Assemblée nationale du Tchad, ainsi qu’à l’Union africaine et à ses institutions.
Tchadanthropus-tribune/Toumaï Web Médias